Les interviews des 25 ans des Oursins

Anais N’DRI

Anais N'DRI

Bénévole et Marraine

Coordinatrice urgences Médecins sans Frontières

Comment avez-vous connu les Oursins ?

J’ai connu l’association par le biais de ma grande sœur, de sa première mission humanitaire à la célébration des 25 ans de sa fondation! Au départ en tant que petite fille, je ne réalisais pas bien ce que cela voulait dire si ce n’est la distance, l’inconnu et l’aventure ! Au fil des années j’ai découvert le pays, son contexte et le projet grandissant des Oursins en participant aux conférences d’information et aux activités de récoltes de financement. Et puis j’ai eu le bonheur de « rencontrer » les Oursins sur place à Manille en Juin 2002. C’était une rencontre extraordinaire, j’ai découvert la puissance du travail fait sur place, l’impact de la ludothèque sur la vie des enfants et l’importance pour des pays comme les Philippines d’avoir des personnes comme Aurore qui entreprennent des aventures folles et apparemment impossibles.

 

Quelle a été, quelle est votre mission ?

J’ai commencé par faire des activités de récoltes de financement en France pendant mon collège et mon lycée. Ensuite je suis devenue volontaire de terrain à Manille en parallèle de mes études universitaires. Dans le cadre de ces années de volontariat, j’ai eu la chance de faire beaucoup de choses différentes en fonction des besoins et en fonction de l’évolution de mes connaissances et compétences. C’est aussi ça la magie de l’humanitaire : si tu as envie de faire des choses, si tu es volontaire et suffisamment humble pour apprendre et si tu ne comptes pas tes heures, alors tu auras du travail et tu développeras des compétences comme dans aucun autre secteur professionnel ! J’ai fait des activités sportives, préparé des spectacles, rangé des stocks, fait des bilans comptables, supervisé des courriers pour les parrains, encadré des volontaires –et des moins volontaires d’ailleurs J -, donné des cours de maths, préparé des supports de communication… Après quelques années, j’ai eu la chance de faire partie de l’équipe de direction qui définit les stratégies d’intervention et les priorités, qui fait les arbitrages et qui mène les discussions avec les autorités. Dans ce rôle j’ai découvert les combats quotidiens des responsables humanitaires : des combats contre les autorités locales qui préfèreraient qu’on soit de simples bailleurs de fonds, qu’on ne soit pas présents sur place et qui nous traitent comme des criminels, des combats avec certaines familles qui considèrent leurs enfants comme des sources de revenus potentiels et qui nous voient comme des emmerdeurs, des combats avec certains donateurs qui pensent que chaque billet, chaque chèque leur donne le droit à un audit complet avec des exigences démesurées et inadaptées et qui nous font nous sentir comme des escrocs, des combats avec des volontaires qui voudraient travailler de 10h à 16h du mardi au jeudi et recevoir une gratitude éternelle parce que, « quand même, ils donnent de leur temps »… Beaucoup, beaucoup d’épreuves, qui font le quotidien des responsables humanitaires… Et pourtant je vois quand même cette expérience comme une chance et j’en ai fait mon métier (Coordinatrice Urgences MSF), parce que toutes ces épreuves nous paraissent parfaitement acceptables à la vue de ce que les projets apportent aux bénéficiaires, la joie des enfants, le soulagement des familles, le retour à la vie des communautés… Ça vaut toutes les critiques du monde!

 

L’action dont vous êtes la plus fière ?

Je me permettrai de parler de deux activités :

  1. Les papiers cadeaux : Alors que j’étais en 3ème, avec ma maman nous avons eu la possibilité de mettre en place une activité d’emballage de paquets cadeaux dans une grande surface. Le principe était assez simple, à partir de la dernière semaine de Novembre, un espace, une table et du papier cadeau étaient mis à la disposition par le supermarché à la sortie des caisses et une équipe de volontaires faisait les emballages des clients qui le souhaitaient contre un don libre. Dans la pratique, le plus complexe était de trouver des volontaires pour couvrir toute la journée jusqu’au 24 Décembre inclus ! Au final c’est vraiment une activité que je considère comme un succès sur tous les plans : c’était un super moment pour les volontaires, fatigant évidemment mais avec beaucoup de rigolades, un beau mélange de genres, d’âges, de niveaux… Les sommes récoltées étaient conséquentes et l’activité s’est pérennisée pendant 8 ans ! Je suis aussi fière de cette activité parce qu’elle est la preuve que tout le monde a la capacité de mettre en place une activité avec de la volonté et des efforts, peu importe l’âge !
  2. Les rubans verts : C’est une activité que j’ai mise en place suite au super typhon Haiyan, dans mon ancienne école primaire et collège. Pendant 4 jours, je suis allée présenter la situation des Philippines à des groupes d’enfants de 6 à 13 ans pour ensuite leur lancer le défi de vendre le plus grand nombre de « bracelets de l’espoir » possible (de simple rubans verts achetés au mètre dans une vente de déstockage)! Ce qui était incroyable, c’était l’intérêt des enfants et leur facilité à comprendre le besoin, mais aussi le dynamisme des équipes enseignantes qui se sont prises aux jeux, qui ont utilisé la thématique des Philippines et du typhon pour aborder plein de sujets importants et qui ont réussi à impliquer les parents, nous permettant de récolter plusieurs milliers d’Euros en quelques semaines !

 

Votre meilleur souvenir (sur le terrain) ?

J’ai des milliers de bons souvenirs sur le terrain ! Parfois des activités et parfois juste d’assister à des moments de bonheur voir d’euphorie des enfants ! Mais je dois avouer que mon projet chouchou restera celui des activités avec les enfants incarcérés. Les Philippines ont ratifié la convention des droits de l’enfant mais ils continuent d’enfermer des enfants, des enfants parfois très jeunes, pour des délits et des crimes variés allant du simple fait de trainer dans les rues au crime organisé. Les enfants sont « ramassés » dans les rues et entassés dans ce que les autorités aiment appeler « centres de réhabilitation », simplement parce qu’ils n’ont pas le droit de les appeler prisons. A 30, 40, 50 dans des cellules de 20 mètres carrés sans sanitaires, avec des quantités de nourriture dérisoires et avec rien, strictement rien à faire ! Ces enfants, parfois de moins de 10 ans, sont en attente de jugement, et s’ils n’ont personne pour payer et pour faire pression sur le système légal alors ils attendront pendant des années. S’ils n’avaient rien de criminels à l’entrée, ils auront eu le temps d’apprendre pendant leur incarcération. Les cellules sont organisées par gangs. Il y a des leaders désignés dans chaque espace et ils font régner par la loi du plus fort. Les petits se soumettent et obtiennent une sorte de protection.

Mener des activités en prison c’est compliqué, d’abord parce que les autorités ne veulent pas qu’on (les étrangers) y mette notre nez mais aussi parce que beaucoup de donateurs s’opposent à ce qu’on y mette de l’argent. Je me souviens d’une marraine de longue de date de l’association qui m’a un jour dit qu’elle ne voulait pas que son argent soit utilisé pour les enfants en prison parce qu’ « ils avaient bien dû faire quelque chose pour se retrouver là ». Et pourtant ces activités sont tellement essentielles ! La logique du « on a ce qu’on mérite » est très largement faussée dans des pays comme les Philippines. Il est où le libre arbitre de faire les bons choix quand on grandit dans la misère, la violence, la corruption ? Bien souvent la plus grande faute de ces enfants, c’est juste d’être nés au mauvais endroit et de n’avoir croisé la route d’aucune Mme Oursins ! Deux ans et demi entre ces murs et une hépatite pour un gamin de 13 ans qui a bêtement répondu à la provocation de ses copains qui lui ont lancé le pari de voler l’étalage d’un vendeur de bananes… ou dix-huit mois en attente de procès pour avoir eu des relations sexuelles avec sa petite amie de moins de 15 ans… comme lui !

Les prisons c’était un des terrains sur lesquels la directrice et fondatrice de l’association avait démarré ainsi alors que la ludothèque de Parañaque tournait bien, elle a proposé de démarrer un programme de support à la prison du quartier. Après une visite d’évaluation, les besoins les plus urgents se sont avérés être des produits d’hygiène, de la nourriture et des activités ! Environ 250 enfants de 11 à 19 ans recevaient l’allocation hygiène et nourriture pour 90 enfants et n’avaient pour seule activité du matin au soir que la lecture de la Bible par un groupe de sœurs du quartier. Nous avons donc commencé par distribuer des produits d’hygiène : du savon contre la gale, du désinfectant, des brosses à dents et de l’eau de javel. Puis nous avons commencé une activité quotidienne de danse. Tous les matins à 6h, nous étions 3 à venir à la prison, danser pendant 2h30 et partager un gouter/petit déjeuner. Ce qui est incroyable c’est l’énergie positive et le bonheur qui se dégage de ce programme ! On part bien souvent faire de l’humanitaire avec l’illusion qu’on va changer la vie des bénéficiaires, et parfois c’est vrai. Mais en prison, on ne change pas leur devenir, il faut en être conscient. On change leur présent, qu’ils soient coupables ou non et quel que soit le crime qu’ils aient commis. Aucun être humain ne devrait être traité de cette façon. En France d’ailleurs, la justice interviendrait si un chien était traité comme eux. Alors à travers ce programme, on avait l’opportunité quotidienne de leur redonner un peu d’humanité. C’est encore aujourd’hui les moments Oursins auxquels je repense avec la plus grande émotion.

 

Qu’est-ce que représente pour vous l’approche par le jeu, la création de ludothèque pour enfants pauvres ?

Même si la ludothérapie a sa place dans tous les environnements, je vois davantage son intérêt dans le contexte de misère dans lequel l’association l’a mise en place. La pauvreté pour moi est une situation économique qui ne couvre pas du tout la situation des enfants bénéficiaires des Oursins. La plupart des enfants que nous côtoyons dans les bidonvilles, les rues et les prisons vivent bien plus que la pauvreté. Ce sont des environnements où on force des bébés à devenir des hommes et des femmes sans affection, sans calme, sans sécurité, sans divertissement… et pas seulement sans argent, maison et/ou nourriture. Bien souvent quand on voit les enfants arriver à la ludothèque, ils restent prostrés dans un coin à regarder les autres. J’ai même vu des plus petits verser des larmes sans bruit, parce que dans cet espace, tout à coup, perdre leur fonction utilitaire et économique les déstabilise. Ils restent parfois des semaines comme ça. Ils n’arrivent pas à se détendre et à se laisser aller à jouer. Et puis, sans vraiment qu’on ne comprenne pourquoi ou comment, ils se mettent à jouer et à sourire. Je trouve ça magique ! C’est une réaction que je n’ai vue dans aucun autre programme, et dont je m’inspire toujours aujourd’hui dans mon travail : quand j’interviens dans une zone où les enfants que nous soignons sont apathiques et ne sourient plus, je pense à mes chers Oursins et j’organise une distribution de jeux et un espace de récréation. Et chaque fois ça marche, pas aussi bien que dans une maison dédiée au jeu toute la journée, mais ça marche, les sourires reviennent,  les enfants jouent et les hospitalisations se passent mieux !

 

Votre vœu pour les 25 ans de l’association ?

Qu’on arrête de demander à l’association de faire ses preuves, même si chaque donateur est nouveau et a besoin d’être rassuré, ça n’est pas le travail des ONGs. Cette méfiance qui tourne souvent au harcèlement est une des raisons pour laquelle tellement de dirigeants se fatiguent et autant d’organisations qui faisaient des choses super ferment leur porte. Ce qu’on oublie souvent de dire c’est que dans les grosses ONGs, l’obsession de transparence des bailleurs de fonds nécessite plusieurs positions sièges à plein temps, soit des dizaines de milliers d’euros par an ! Une ONG qui monte des projets brillants depuis 25 ans ne devrait plus avoir à rassurer chaque donateur de façon individuelle. Je souhaiterais que les donateurs, quand ils s’engagent, se penchent sur ce que l’organisation fournit comme documentation afin de déterminer si cette documentation correspond à ses attentes, à ses angoisses… et si ça n’est pas le cas, soit qu’ils interrogent leurs attentes soit qu’ils trouvent une autre ONG qui leur convient mieux. Parce que si demain ma sœur arrête d’ouvrir des ludothèques, ça ne sera pas à cause des difficultés rencontrées dans l’implémentation des projets mais bien suite à l’épuisement de devoir prouver encore et toujours qu’elle est une professionnelle digne de confiance.

Une ludothèque pour les enfants isolés de Papatahan